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On ne nait pas femme
4 juin 2020

Je suis complice (et je vous demande pardon)

Je suis complice

Pardon, je vais parler un peu de moi. Je fais ça une fois, et je me remets à relayer la parole des gens qu'on n'écoute pas, promis. Pour ceux que ça gave de m'entendre parler (de me lire, quoi), cette réflexion fait écho au texte de Virginie Despentes s'adressant à ses potes blancs qui ne comprennent pas la situation. Vous pouvez directement lire son texte : https://www.franceinter.fr/emissions/lettres-d-interieur/lettres-d-interieur-04-juin-2020
 
En ce moment il se passe quelque chose de grand, d'important, de capital et ce serait dommage que nous passions à côté. Ce qui est arrivé à Georges Floyd le 25 mai dernier est arrivé a beaucoup de gens, sauf que jusqu'ici, on avait entendu mais on se résignait. On restait neutres. On se disait "que la justice ferait son travail" tout en étant tout à fait conscients qu'en vrai, pas trop. Ce qu'on a eu sous les yeux depuis le 25 mai, c'est la preuve absolue et irréfutable que la justice n'est pas la même pour tous. Aux US, en France, partout en Occident.
 
Je vais vous dire, je me souviens précisément de ce que je me suis dit quand j'ai appris ce qui était arrivé à Adama Traoré le 19 juillet 2016, et que j'ai commencé à entendre les débats autour de son décès : je me suis dit que je ne connaissais pas les faits, que je ne pouvais pas juger et donc pas prendre partie. Et je me suis dit ça TELLEMENT DE FOIS, dans tellement de cas similaires, merde.
 
J'ai honte. J'ai honte parce que j'ai refusé de mettre cette affaire en relation avec ce que j'avais observé, ce qu'on m'avait dit, maintes fois répété. J'ai refusé de donner la première chose, la plus significative, la moins coûteuse de toutes : j'ai refusé de croire. J'ai refusé de croire que c'était possible. J'ai refusé de voir qu'on ne parlait pas que de violences policières. En y réfléchissant, je réalise que ma réaction a toujours été la même que celle des gens qui te disent "mais TOUTES les vies comptent".
 
Pardon, je vais continuer à parler de moi un peu. Ce n'est pas pour vous éclipser les amis, c'est plutôt pour faire de la pédagogie. Cette semaine (comme pour de nombreuses personnes partout dans le monde) m'a servi d'électrochoc. Je ne suis clairement plus la même personne que j'étais il y a dix jours et c'est tant mieux. Moi qui me croyait une bonne alliée parce que je me permettais d'envoyer bouler les gens qui tenaient des propos racistes, j'ai fait comme tout le monde, j'ai mis la tête dans le sable. C'est pas comme ça qu'on est un allié.
 
Je me suis assise dans un coin avec mes petits privilèges, et j'ai fait exactement ce que je reproche à la majorité des mecs autour de moi : j'ai tourné la tête et j'ai dit "Ouais enfin bon, ça va, on est en France, on a tous les mêmes droits, quoi". Les mêmes droits sur le papier et les mêmes droits dans la réalité on sait tous que c'est différent. On sait tous que c'est différent.
 
Quand j'étais petite fille, je rêvais d'avoir la même peau noire que ma copine Kadiatou. J'étais hyper jalouse. Je la trouvais tellement belle ! J'avais même demandé (je crois que c'était à ma mère ?) à un adulte si on pouvait faire comme Mickaël Jackson mais à l'envers. Je sais plus du tout ce qu'on m'a répondu mais l'idée m'est restée en tête pendant une grande partie de mon enfance. Aujourd'hui, une bonne fée viendrait me proposer de me transformer en noire, bon bah je vous cache pas, j'y réfléchirais à deux fois, parce que je sais que les conséquences ne seraient pas uniquement esthétiques. Je le sais, tu le sais, on le sait tous. On peut pas dire "Ah bon ? C'est quand même pas SI compliqué d'être noir en France, quand même ?" à moins d'avoir vécu dans une cave ces 30 dernières années.
 
Bref. Je suis inévitablement complice parce que j'ai gardé le silence. Ce qui n'arrivera plus. Passée cette semaine, je serais peut-être plus calme, moins prolifique (enfin la semaine prochaine, c'est toujours le mois des fiertés, alors vous attendez pas non plus au calme plat) mais je serais toujours là, et je me battrais avec toute ma force disponible.
 
Il n'y a pas besoin de beaucoup pour se battre. Tout le monde n'est pas obligé de montrer sa colère à tout bout de champ, il suffit juste de prendre conscience des choses et d'apprendre. Lire un article ou deux, aller voir des vidéos, lire des livres, signer des pétitions, il y a plein de petites choses que vous pouvez faire. Pas forcément toutes. Partager un lien, une image, quelque chose qui vous a marqué ou vous a fait réfléchir, ça compte aussi. Je sais que tout le monde n'a pas la force ou l'énergie pour se battre. C'est pas grave. Se dire à soi-même "je comprends pourquoi les gens se battent et ils ont raison" c'est presque rien pour l'instant, mais ça peut devenir beaucoup. On devient un terreau plus sain, et on pourra y planter de meilleures idées.
 
Je vous dis ça parce que je sais que nombre d'entre vous s'en veulent de ne pas pouvoir "faire plus" et de toute façon, j'ai la sensation que tant qu'on n'ira pas faire cramer l'Elysée / La Maison Blanche bah on pourra toujours faire plus, hein. J'ai fait un choix personnel de batailler AU MOINS pendant cette période capitale, parce que je crois que c'est de ma responsabilité d'utiliser ma plume pour ça.
 
Sans vous mentir - et surtout sans vouloir me faire plaindre - tout ça me fait souffrir atrocement. Ma condition médicale fait que tous les stress, toutes les émotions fortes me provoquent des crises de douleur. Depuis que j'ai vu la vidéo de l'assassinat de Georges Floyd, j'ai enchainé crises de larmes et crises de douleur. La colère, la tristesse, l'énervement, tout ça c'est pas bon pour ce que j'ai. Et je sais très bien que dans ce genre de circonstances, le bon choix aurait été comme je le fais depuis un an, de rentrer ma tête dans les épaules, de me détacher de tout ça et de me ménager. J'ai pratiquement pas écouté un mot de Macron en un an ; c'était une question de survie. J'ai failli le faire à nouveau, le coup de la tortue. Et puis j'ai réalisé que cette souffrance, physique ou morale, finalement, je pouvais bien me la permettre, pour une fois. Je me place PAS DU TOUT en martyr. Je dis pas que je mérite de souffrir ou quoi que ce soit. Je dis juste que je peux me permettre de souffrir un peu, quand je sais que d'autres subissent des violences, des agressions, des micro-agressions permanentes et que eux n'ont pas le luxe de se dire "bon, je vais couper les réseaux sociaux et méditer pendant quelques jours et après ça ira mieux".
 
Juste voilà, essayez. Essayez d'arrêter de relativiser sur ces sujets-là. N'arrêtez pas d'être rationnels, surtout. Il y a des sujets qui méritent le respect de l'honnêteté intellectuelle. Et dans le cas qui nous concerne, admettre qu'il y a un problème dans notre système, qu'il y a du racisme à tous les niveaux de la société, et qu'il faut qu'on change ça, ça me semble pas la mer à boire.

S'il vous plait, j'ai une demande. Ne partagez pas cette image si c'est juste pour vous faire plaindre; pauvres petits choux si fragiles. A la rigueur partagez mon texte avec si vous y tenez. Mais s'il vous plait, c'est pas le moment de ramener ça à vous (même si clairement, c'est ce que je viens de faire là).
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